Tuesday, November 05, 2024

Maximilian Robespierre, Rapport sur les principes de morale politique dans l'administration intérieure de la République [On the Moral and Political Principles of Domestic Policy]--Text and Reflections on Modernity

 


La démocratie périt par deux excès, l'aristocratie de ceux qui gouvernent, ou le mépris du peuple pour les autorités qu'il a lui-même établies, mépris qui fait que chaque coterie, que chaque individu attire à lui la puissance publique, et ramène le peuple, par l'excès du désordre, à l'anéantissement, ou au pouvoir d'un seul. La double tâche des modérés et des faux révolutionnaires est de nous ballotter perpétuellement entre ces deux écueils.* * * On dirait que les deux génies contraires que Ton a représentés se disputant l'empire de la nature combattent dans cette grande époque de l'histoire humaine pour fixer sans retour les destinées du monde, et que la France est le théâtre de cette lutte redoutable. Au dehors, tous les tyrans vous cernent; au dedans, tous les amis de la tyrannie conspirent: ils conspirent jusqu'à ce que l'espérance ait été ravie au crime. Il faut étouffer les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, ou périr avec elle; or, dans cette situation, la première maxime de votre politique doit être qu'on conduit le peuple par la raison, et les ennemis du peuple par la terreur. (Rapport sur les principes de morale politique dans l'administration intérieure de la République [On the Moral and Political Principles of Domestic Policy])

Democracy perishes by two kinds of excess: the aristocracy of those who govern or the people's scorn for the authorities whom the people itself has established, scorn which makes each clique, each individual take over the public power and lead the people, through excessive disorders, to its destruction or to the power of one man. The double effort of the moderates and the false revolutionaries is to drive us back and forth perpetually between these two perils. * * * The two opposing spirits that have been represented in a struggle to rule nature might be said to be fighting in this great period of human history to fix irrevocably the world's destinies, and France is the scene of this fearful combat. Without, all the tyrants encircle you; within, all tyranny's friends conspire; they will conspire until hope is wrested from crime. We must smother the internal and external enemies of the Republic or perish with it; now in this situation, the first maxim of your policy ought to be to lead the people by reason and the people's enemies by terror. (On the Moral and Political Principles of Domestic Policy [Rapport sur les principes de morale politique dans l'administration intérieure de la République])

Pix Credit Library of Congress
 The perception and defense of popular democracy has always been a fragile enterprise, one caught up by both the glories and traps of its own contradictions. That applies with equal force, of course, to all contemporary variation on the democratic consciousness.  That insight tends to be lost in the enthusiasm of the cohorts of enthusiasts who, in every age, experience the contradictions without perceiving their own role as phenomenological objects in the dialectics of democratic intensity suited ot the times and place in which it is experienced. Among its greatest strengths and contradiction are the proclivities of democratic enthusiasts to insist on the essential role of 'othering' in the constitution of a system the great virtue of which is its impulse toward universality. That its power has remained substantially unimpeded at least from the start of the contemporary age of democratic consciousness in the 1770s, speaks to its power. That its approach is indifferent toward the political-economic model within which it is deployed (liberal-democratic, Marxist-Leninist, Theocratic, ethno-tribalist, etc.) speaks to its character as a fundamental premise of the enterprise.

It is in this area, perhaps, that Maximilian Robespierre still has much to teach--despite his own obliviousness to the lessons he was crafting in his speeches leading up to his execution in 1794 (Rapport sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l'administration intérieure de la République, fait au nom du Comité de salut public).  Among the more relevant now may be his remarkable, and to modern ears quite contemporary, speech on the moral politics that ought to guide manifestations of public power in the management of domestic policy--and, of course, the masses. The speech is extraordinarily rich, and modern, and worth contemplating for its relevance and lessons that touch on, at the least, the the discursive featsts which the masses have been invited to eat. The speech serves as reminder of the power, perhaps the inevitability, of the trajectories of the experience of a certain 'othering' within the democratic enterprise that carries with it a remarkably consistent set of consequences. And the Jacobin conundrum--hierarchy, leadership,  and control within idealized perceptions of equality remain at the center, the justification for which remains a central element of democracies whether in the form of "brain trust" techno-bureaucratic democracy, traditional populism (irrespective of its ideological tilts), or any of the forms of vanguardism--either progressive  (that is progressing toward some eventual ideal state) or otherwise--remains at the core element of the current general contradiction for the times.

Is it possible to move beyond the Jacobin conundrum--played and replayed in a variety of forms since the 1790's? Does one even need the democratic form to be subject to the Jacobin conundrum?   The speech, and a nice English translation follow below.  May be accessed here (original French), and here (English).

Rapport sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l'administration intérieure de la République, fait au nom du Comité de salut public

le 18 pluviôse, l'an 2e de la République, par Maximilien Robespierre; imprimé par ordre de la Convention nationale (18 pluviôse an II - 5 février 1794)



Citoyens représentants du Peuple.


Nous avons exposé, il y a quelque temps, les principes de notre politique extérieure: nous venons développer aujourd'hui les principes de notre politique intérieure.

Après avoir marché longtemps au hasard, et comme emportés par le mouvement des factions contraires, les représentants du Peuple français ont enfin montré un caractère et un gouvernement. Un changement subit dans la fortune de la nation annonça à l'Europe la régénération qui s'était opérée dans la représentation nationale. Mais jusqu'au moment même où je parle, il faut convenir que nous avons été plutôt guidés, dans des circonstances si orageuses, par l'amour du bien et par le sentiment des besoins de la patrie que par une théorie exacte et des règles précises de conduite, que nous n'avions pas même le loisir de tracer.

Il est temps de marquer nettement le but de la révolution, et le terme où nous voulons arriver; il est temps de nous rendre compte à nous-mêmes, et des obstacles qui nous en éloignent encore, et des moyens que nous devons adopter pour l'atteindre: idée simple et importante qui semble n'avoir jamais été aperçue. Eh! comment un gouvernement lâche et corrompu aurait-il osé la réaliser? Un roi, un sénat orgueilleux, un César, un Cromwell, doivent avant tout couvrir leurs projets d'un voile religieux, transiger avec tous les vices, caresser tous les partis, écraser celui des gens de bien, opprimer ou tromper le peuple, pour arriver au but de leur perfide ambition. Si nous n'avions pas eu une plus grande tâche à remplir, s'il ne s'agissait ici que des intérêts d'une faction ou d'une aristocratie nouvelle, nous aurions pu croire, comme certains écrivains plus ignorants encore que pervers, que le plan de la Révolution française était écrit en toutes lettres dans les livres de Tacite et de Machiavel, et chercher les devoirs des représentants du peuple dans l'histoire d'Auguste, de Tibère ou de Vespasien, ou même dans celle de certains législateurs français; car, à quelques nuances près de perfidie ou de cruauté, tous les tyrans se ressemblent. Pour nous, nous venons aujourd'hui mettre l'univers dans la confidence de vos secrets politiques, afin que tous les amis de la patrie puissent se rallier à la voix de la raison et de l'intérêt public; afin que la nation française et ses représentants soient respectés dans tous les pays de l'univers où la connaissance de leurs véritables principes pourra parvenir; afin que les intrigants qui cherchent toujours à remplacer d'autres intrigants soient jugés par l'opinion publique sur des règles sûres et faciles.

Il faut prendre de loin ses précautions pour remettre les destinées de la liberté dans les mains de la vérité qui est éternelle, plus que dans celles des hommes qui passent, de manière que si le gouvernement oublie les intérêts du peuple, ou qu'il retombe entre les mains des hommes corrompus, selon le cours naturel des choses, la lumière des principes reconnus éclaire ses trahisons, et que toute faction nouvelle trouve la mort dans la seule pensée du crime.

Heureux le peuple qui peut arriver à ce point! car, quelques nouveaux outrages qu'on lui prépare, quelles ressources ne présente pas un ordre de choses où la raison publique est la garantie de la liberté!

Quel est le but où nous tendons? la jouissance paisible de la liberté et de l'égalité; le règne de cette justice éternelle, dont les lois ont été gravées, non sur le marbre et sur la pierre, mais dans les coeurs de tous les hommes, même dans celui de l'esclave qui les oublie et du tyran qui les nie.

Nous voulons un ordre de choses où toutes les passions basses et cruelles soient enchaînées, toutes les passions bienfaisantes et généreuses éveillées par les lois; où l'ambition soit le désir de mériter la gloire et de servir la patrie; où les distinctions ne naissent que de l'égalité même; où le citoyen soit soumis au magistral, le magistrat au peuple, et le peuple à la justice; où la patrie assure le bien-être de chaque individu, et où chaque individu jouisse avec orgueil de la prospérité et de la gloire de la patrie; où toutes les âmes s'agrandissent par la communication continuelle des sentiments républicains, et par le besoin de mériter l'estime d'un grand peuple; où les arts soient les décorations de la liberté qui les ennoblit, le commerce la source de la richesse publique et non seulement de l'opulence monstrueuse de quelques maisons.

Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l'égoïsme, la probité à l'honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l'empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l'insolence, la grandeur d'âme à la vanité, l'amour de la gloire à l'amour de l'argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l'intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l'éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l'homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c'est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.

Nous voulons, en un mot, remplir les voeux de la nature, accomplir les destins de l'humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime et de la tyrannie. Que la France, jadis illustre parmi les pays esclaves, éclipsant la gloire de tous les peuples libres qui ont existé, devienne le modèle des nations, l'effroi des oppresseurs, la consolation des opprimés, l'ornement de l'univers, et qu'en scellant notre ouvrage de notre sang, nous puissions voir au moins briller l'aurore de la félicité universelle... Voilà notre ambition, voilà notre but.

Quelle nature de gouvernement peut réaliser ces prodiges? Le seul gouvernement démocratique ou républicain: ces deux mots sont synonymes, malgré les abus du langage vulgaire; car l'aristocratie n'est pas plus la république que la monarchie. La démocratie n'est pas un état où le peuple, continuellement assemblé, règle par lui-même toutes les affaires publiques, encore moins celui où cent mille fractions du peuple, par des mesures isolées, précipitées et contradictoires, décideraient du sort de la société entière: un tel gouvernement n'a jamais existé, et il ne pourrait exister que pour ramener le peuple au despotisme.

La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu'il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu'il ne peut faire lui-même.

C'est donc dans les principes du gouvernement démocratique que vous devez chercher les règles de votre conduite politique.

Mais, pour fonder et pour consolider parmi nous la démocratie, pour arriver au règne paisible des lois constitutionnelles, il faut terminer la guerre de la liberté contre la tyrannie, et traverser heureusement les orages de la révolution: tel est le but du système révolutionnaire que vous avez régularisé. Vous devez donc encore régler votre conduite sur les circonstances orageuses où se trouve la république; et le plan de votre administration doit être le résultat de l'esprit du gouvernement révolutionnaire, combiné avec les principes généraux de la démocratie.

Or, quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire, c'est-à-dire le ressort essentiel qui le soutient et qui le fait mouvoir? C'est la vertu; je parle de la vertu publique qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine; de cette vertu qui n'est autre chose que l'amour de la patrie et de ses lois.

Mais comme l'essence de la république ou de la démocratie est l'égalité, il s'ensuit que l'amour de la patrie embrasse nécessairement l'amour de l'égalité.

Il est vrai encore que ce sentiment sublime suppose la préférence de l'intérêt public à tous les intérêts particuliers; d'où il résulte que l'amour de la patrie suppose encore ou produit toutes les vertus: car que sont-elles autre chose que la force de l'âme qui rend capable de ces sacrifices? et comment l'esclave de l'avarice ou de l'ambition, par exemple, pourrait-il immoler son idole à la patrie?

Non seulement la vertu est l'âme de la démocratie; mais elle ne peut exister que dans ce gouvernement. Dans la monarchie, je ne connais qu'un individu qui peut aimer la patrie, et qui, pour cela, n'a pas même besoin de vertu; c'est le monarque. La raison en est que de tous les habitants de ses Etats, le monarque est le seul qui ait une patrie. N'est-il pas le souverain, au moins de fait? n'est-il pas à la place du peuple? Et qu'est-ce que la patrie, si ce n'est le pays où l'on est citoyen et membre du souverain?

Par une conséquence du même principe, dans les Etats aristocratiques, le mot patrie ne signifie quelque chose que pour les familles patriciennes qui ont envahi la souveraineté.

Il n'est que la démocratie où l'Etat est véritablement la patrie de tous les individus qui le composent, et peut compter autant de défenseurs intéressés à sa cause qu'il renferme de citoyens. Voilà la source de la supériorité des peuples libres sur tous les autres. Si Athènes et Sparte ont triomphé des tyrans de l'Asie, et les Suisses des tyrans de l'Espagne et de l'Autriche, il n'en faut point chercher d'autre cause.

Mais les Français sont le premier peuple du monde qui ait établi la véritable démocratie, en appelant tous les hommes à l'égalité, et à la plénitude des droits du citoyen; et c'est là, à mon avis, la véritable raison pour laquelle tous les tyrans ligués contre la République seront vaincus.

Il est dès ce moment de grandes conséquences à tirer des principes que nous venons d'exposer.

Puisque l'âme de la République est la vertu, l'égalité, et que votre but est de fonder, de consolider la République, il s'ensuit que la première règle de votre conduite politique doit être de rapporter toutes vos opérations au maintien de l'égalité et au développement de la vertu; car le premier soin du législateur doit être de fortifier le principe du gouvernement. Ainsi tout ce qui tend à exciter l'amour de la patrie, à purifier les moeurs, à élever les âmes, à diriger les passions du coeur humain vers l'intérêt public, doit être adopté ou établi par vous. Tout ce qui tend à les concentrer dans l'abjection du moi personnel, à réveiller l'engouement pour les petites choses et le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé par vous. Dans le système de la Révolution française, ce qui est immoral est impolitique, ce qui est corrupteur est contre-révolutionnaire. La faiblesse, les vices, les préjugés, sont le chemin de la royauté. Entraînés trop souvent peut-être par le poids de nos anciennes habitudes, autant que par la pente insensible de la faiblesse humaine, vers les idées fausses et vers les sentiments pusillanimes, nous avons bien moins à nous défendre des excès d'énergie que des excès de faiblesse. Le plus grand écueil peut-être que nous ayons à éviter n'est pas la ferveur du zèle, mais plutôt la lassitude du bien et la peur de notre propre courage. Remontez donc sans cesse le ressort sacré du gouvernement républicain, au lieu de le laisser tomber. Je n'ai pas besoin de dire que je ne veux ici justifier aucun excès. On abuse des principes les plus sacrés; c'est à la sagesse du gouvernement à consulter les circonstances, à saisir les moments, à choisir les moyens; car la manière de préparer les grandes choses est une partie essentielle du talent de les faire, comme la sagesse est elle-même une partie de la vertu.

Nous ne prétendons pas jeter la République française dans le moule de celle de Sparte; nous ne voulons lui donner ni l'austérité, ni la corruption des cloîtres. Nous venons de vous présenter, dans toute sa pureté, le principe moral et politique du gouvernement populaire. Vous avez donc une boussole qui peut vous diriger au milieu des orages de toutes les passions, et du tourbillon des intrigues qui vous environnent. Vous avez la pierre de touche par laquelle vous pouvez essayer toutes vos lois, toutes les propositions qui vous sont faites. En les comparant sans cesse avec ce principe, vous pouvez désormais éviter l'écueil ordinaire des grandes assemblées, le danger des surprises et des mesures précipitées, incohérentes et contradictoires. Vous pouvez donner à toutes vos opérations l'ensemble, l'unité, la sagesse et la dignité qui doivent annoncer les représentants du premier peuple du monde.

Ce ne sont pas les conséquences faciles du principe de la démocratie qu'il faut détailler, c'est ce principe simple et fécond qui mérite d'être lui-même développé.

La vertu républicaine peut être considérée par rapport au peuple et par rapport au gouvernement: elle est nécessaire dans l'un et dans l'autre. Quand le gouvernement seul en est privé, il reste une ressource dans celle du peuple; mais quand le peuple lui-même est corrompu, la liberté est déjà perdue.

Heureusement la vertu est naturelle au peuple, en dépit des préjugés aristocratiques. Une nation est vraiment corrompue, lorsqu'après avoir perdu, par degrés, son caractère et sa liberté, elle passe de la démocratie à l'aristocratie ou à la monarchie; c'est la mort du corps politique par la décrépitude. Lorsque après quatre cents ans de gloire l'avarice a enfin chassé de Sparte les moeurs avec les lois de Lycurgue, Agis meurt en vain pour les rappeler! Démosthène a beau tonner contre Philippe, Philippe trouve dans les vices d'Athènes dégénérée des avocats plus éloquents que Démosthène. Il y a bien encore dans Athènes une population aussi nombreuse que du temps de Miltiade et d'Aristide; mais il n'y a plus d'Athéniens. Qu'importe que Brutus ait tué le tyran? la tyrannie vit encore dans les coeurs, et Rome n'existe plus que dans Brutus.

Mais lorsque, par des efforts prodigieux de courage et de raison, un peuple brise les chaînes du despotisme pour en faire des trophées à la liberté; lorsque, par la force de son tempérament moral, il sort, en quelque sorte, des bras de la mort pour reprendre toute la vigueur de la jeunesse; lorsque, tour à tour sensible et fier, intrépide et docile, il ne peut être arrêté ni par les remparts inexpugnables, ni par les armées innombrables des tyrans armés contre lui, et qu'il s'arrête lui-même devant l'image de la loi; s'il ne s'élance pas rapidement à la hauteur de ses destinées, ce ne pourrait être que la faute de ceux qui le gouvernent.

D'ailleurs on peut dire, en un sens, que pour aimer la justice et l'égalité, le peuple n'a pas besoin d'une grande vertu; il lui suffit de s'aimer lui-même.

Mais le magistrat est obligé d'immoler son intérêt à l'intérêt du peuple, et l'orgueil du pouvoir à l'égalité. Il faut que la loi parle surtout avec empire à celui qui en est l'organe. Il faut que le gouvernement pèse sur lui-même, pour tenir toutes ses parties en harmonie avec elle. S'il existe un corps représentatif, une autorité première constituée par le peuple, c'est à elle de surveiller et de réprimer sans cesse tous les fonctionnaires publics. Mais qui la réprimera elle-même, sinon sa propre vertu? Plus cette source de l'ordre public est élevée, plus elle doit être pure; il faut donc que le corps représentatif commence par soumettre dans son sein toutes les passions privées à la passion générale du bien public. Heureux les représentants, lorsque leur gloire et leur intérêt même les attachent, autant que leurs devoirs, à la cause de la liberté!

Déduisons de tout ceci une grande vérité; c'est que le caractère du gouvernement populaire est d'être confiant dans le peuple, et sévère envers lui-même.

Ici se bornerait tout le développement de noire théorie. si vous n'aviez qu'à gouverner dans le calme le vaisseau de la République: mais la tempête gronde; et l'état de révolution où vous êtes vous impose une autre tâche.

Cette grande pureté des bases de la Révolution française, la sublimité même de son objet est précisément ce qui fait notre force et notre faiblesse: notre force, parce qu'il nous donne l'ascendant de la vérité sur l'imposture, et les droits de l'intérêt public sur les intérêts privés; notre faiblesse, parce qu'il rallie contre nous tous les hommes vicieux, tous ceux qui dans leurs coeurs méditaient de dépouiller le peuple, et tous ceux qui veulent l'avoir dépouillé impunément, et ceux qui ont repoussé la liberté comme une calamité personnelle, et ceux qui ont embrassé la révolution comme un métier et la république comme une proie: de là la défection de tant d'hommes ambitieux ou cupides, qui, depuis le point du départ, nous ont abandonnés sur la route, parce qu'ils n'avaient pas commencé le voyage pour arriver au même but. On dirait que les deux génies contraires que Ton a représentés se disputant l'empire de la nature combattent dans cette grande époque de l'histoire humaine pour fixer sans retour les destinées du monde, et que la France est le théâtre de cette lutte redoutable. Au dehors, tous les tyrans vous cernent; au dedans, tous les amis de la tyrannie conspirent: ils conspirent jusqu'à ce que l'espérance ait été ravie au crime. Il faut étouffer les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, ou périr avec elle; or, dans cette situation, la première maxime de votre politique doit être qu'on conduit le peuple par la raison, et les ennemis du peuple par la terreur.

Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur: la vertu, sans laquelle la terreur est funeste; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible; elle est donc une émanation de la vertu; elle est moins un principe particulier qu'une conséquence du principe général de la démocratie appliqué aux plus pressants besoins de la patrie.

On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme? Oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis; il a raison, comme despote: domptez par la terreur les ennemis de la liberté; et vous aurez raison, comme fondateurs de la République. Le gouvernement de la Révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. La force n'est-elle faite que pour protéger le crime? et n'est-ce pas pour frapper les tètes orgueilleuses que la foudre est destinée?

La nature impose à tout être physique et moral la loi de pourvoir à sa conservation; le crime égorge l'innocence pour régner, et l'innocence se débat de toutes ses forces dans les mains du crime.

Que la tyrannie règne un seul jour, le lendemain il ne restera plus un patriote. Jusqu'à quand la fureur des despotes sera-t-elle appelée justice, et la justice du peuple barbarie ou rébellion? Comme on est tendre pour les oppresseurs et inexorable pour les opprimés! Rien de plus naturel: quiconque ne hait point le crime ne peut aimer la vertu.

Il faut cependant que l'un ou l'autre succombe. Indulgence pour les royalistes, s'écrient certaines gens. Grâce pour les scélérats! Non: grâce pour l'innocence, grâce pour les faibles, grâce pour les malheureux, grâce pour l'humanité!

La protection sociale n'est due qu'aux citoyens paisibles; il n'y a de citoyens dans la République que les républicains. Les royalistes, les conspirateurs ne sont, pour elle, que des étrangers, ou plutôt des ennemis. Cette guerre terrible que soutient la liberté contre la tyrannie n'est-elle pas indivisible? les ennemis du dedans ne sont-ils pas les alliés des ennemis du dehors? les assassins qui déchirent la patrie dans l'intérieur; les intrigants qui achètent les consciences des mandataires du peuple; les traîtres qui les vendent; les libellistes mercenaires soudoyés pour déshonorer la cause du peuple, pour tuer la vertu publique, pour attiser le feu des discordes civiles, et pour préparer la contre-révolution politique par la contre-révolution morale; tous ces gens-là sont-ils moins coupables ou moins dangereux que les tyrans qui les servent? Tous ceux qui interposent leur douceur parricide entre ces scélérats et le glaive vengeur de la justice nationale ressemblent à ceux qui se jetteraient entre les satellites des tyrans et les baïonnettes de nos soldats; tous les élans de leur fausse sensibilité ne me paraissent que des soupirs échappés vers l'Angleterre et vers l'Autriche.

Eh! pour qui donc s'attendriraient-ils? Serait-ce pour deux cent mille héros, l'élite de la nation, moissonnés par le fer des ennemis de la liberté ou par les poignards des assassins royaux ou fédéralistes? Non, ce n'étaient que des plébéiens, des patriotes; pour avoir droit à leur tendre intérêt, il faut être au moins la veuve d'un général qui a trahi vingt fois la patrie; pour obtenir leur indulgence, il faut presque prouver qu'on a fait immoler dix mille Français, comme un général romain, pour obtenir le triomphe, devait avoir tué, je crois, dix mille ennemis. On entend de sang-froid le récit des horreurs commises par les tyrans contre les défenseurs de la liberté; nos femmes horriblement mutilées; nos enfants massacrés sur le sein de leurs mères; nos prisonniers expiant dans d'horribles tourments leur héroïsme touchant et sublime: on appelle une horrible boucherie la punition trop lente de quelques monstres engraissés du plus pur sang de la patrie.

On souffre, avec patience, la misère des citoyennes généreuses qui ont sacrifié à la plus belle des causes leurs frères, leurs enfants, leurs époux: mais on prodigue les plus généreuses consolations aux femmes des conspirateurs; il est reçu qu'elles peuvent impunément séduire la justice, plaider contre la liberté la cause de leurs proches et de leurs complices; on en a fait presque une corporation privilégiée, créancière et pensionnaire du peuple.

Avec quelle bonhomie nous sommes encore la dupe des mots! Comme l'aristocratie et le modérantisme nous gouvernent encore par les maximes meurtrières qu'ils nous ont données!

L'aristocratie se défend mieux par ses intrigues que le patriotisme par ses services. On veut gouverner les révolutions par les arguties du palais; on traite les conspirations contre la République comme les procès des particuliers. La tyrannie tue, et la liberté plaide; et le code fait par les conspirateurs eux-mêmes est la loi par laquelle on les juge.

Quand il s'agit du salut de la patrie, le témoignage de l'univers ne peut suppléer à la preuve testimoniale, ni l'évidence même à la preuve littérale.

La lenteur des jugements équivaut à l'impunité; l'incertitude de la peine encourage tous les coupables; et cependant on se plaint de la sévérité de la justice; on se plaint de la détention des ennemis de la République. On cherche ses exemples dans l'histoire des tyrans, parce qu'on ne veut pas les choisir dans celle des peuples, ni les puiser dans le génie de la liberté menacée. A Rome, quand le consul* [* Cicéron.] découvrit la conjuration, et l'étouffa au même instant par la mort des complices de Catilina, il fut accusé d'avoir violé les formes. Par qui? par l'ambitieux César, qui voulait grossir son parti de la horde des conjurés, par les Pison, les Clodius et tous les mauvais citoyens qui redoutaient pour eux-mêmes la vertu d'un vrai Romain et la sévérité des lois.

Punir les oppresseurs de l'humanité, c'est clémence; leur pardonner, c'est barbarie. La rigueur des tyrans n'a pour principe que la rigueur: celle du gouvernement républicain part de la bienfaisance.

Aussi, malheur à celui qui oserait diriger vers le peuple la terreur qui ne doit approcher que de ses ennemis! Malheur à celui qui, confondant les erreurs inévitables du civisme avec les erreurs calculées de la perfidie ou avec les attentats des conspirateurs, abandonne l'intrigant dangereux pour poursuivre le citoyen paisible! Périsse le scélérat qui ose abuser du nom sacré de la liberté, ou des armes redoutables qu'elle lui a confiées, pour porter le deuil ou la mort dans le coeur des patriotes! Cet abus a existé, on ne peut en douter. Il a été exagéré, sans doute, par l'aristocratie: mais n'existât-il, dans toute la République, qu'un seul homme vertueux persécuté par les ennemis de la liberté, le devoir du gouvernement serait de le rechercher avec inquiétude, et de le venger avec éclat.

Mais faut-il conclure de ces persécutions suscitées aux patriotes par le zèle hypocrite des contre-révolutionnaires, et renoncer à la sévérité? Ces nouveaux crimes de l'aristocratie ne font qu'en démontrer la nécessité. Que prouve l'audace de nos ennemis, sinon la faiblesse avec laquelle ils ont été poursuivis? Elle est due, en grande partie, à la doctrine relâchée qu'on a prêchée dans ces derniers temps pour les rassurer. Si vous pouviez écouter ces conseils, vos ennemis parviendraient à leur but et recevraient de vos propres mains le prix du dernier de leurs forfaits.

Qu'il y aurait de légèreté à regarder quelques victoires remportées par le patriotisme comme la fin de tous nos dangers! Jetez un coup d'oeil sur notre véritable situation: vous sentirez que la vigilance et l'énergie vous sont plus nécessaires que jamais. Une sourde malveillance contrarie partout les opérations du gouvernement: la fatale influence des cours étrangères, pour être plus cachée, n'en est ni moins active, ni moins funeste. On sent que le crime intimidé n'a fait que couvrir sa marche avec plus d'adresse.

Les ennemis intérieurs du peuple français se sont divisés en deux factions, comme en deux corps d'armée. Elles marchent sous des bannières de différentes couleurs et par des routes diverses; mais elles marchent au même but: ce but est la désorganisation du gouvernement populaire, la ruine de la Convention, c'est-à-dire le triomphe de la tyrannie. L'une de ces deux factions nous pousse à la faiblesse, l'autre aux excès. L'une veut changer la liberté en bacchante, l'autre en prostituée.

Des intrigants subalternes, souvent même de bons citoyens abusés, se rangent de l'un ou de l'autre parti: mais les chefs appartiennent à la cause des rois ou de l'aristocratie, et se réunissent toujours contre les patriotes. Les fripons, lors même qu'ils se font la guerre, se haïssent bien moins qu'ils ne détestent les gens de bien. La patrie est leur proie; ils se battent pour la partager: mais ils se liguent contre ceux qui la défendent.

On a donné aux uns le nom de modérés; il y a peut-être plus d'esprit que de justesse dans la dénomination d'ultra-révolutionnaires par laquelle on a désigné les autres. Cette dénomination, qui ne peut s'appliquer dans aucun cas aux hommes de bonne foi que le zèle et l'ignorance peuvent emporter au delà de la saine politique de la révolution, ne caractérise pas exactement les hommes perfides que la tyrannie soudoie pour compromettre, par des applications fausses et funestes, les principes sacrés de notre révolution.

Le faux révolutionnaire est peut-être plus souvent encore en deçà qu'au delà de la révolution: il est modéré, il est fou de patriotisme, selon les circonstances. On arrête dans les comités prussiens, anglais, autrichiens, moscovites même, ce qu'il pensera le lendemain. Il s'oppose aux mesures énergiques, et les exagère quand il n'a pu les empêcher: sévère pour l'innocence, mais indulgent pour le crime; accusant même les coupables qui ne sont point assez riches pour acheter son silence, ni assez importants pour mériter son zèle, mais se gardant bien de jamais se compromettre au point de défendre la vertu calomniée; découvrant quelquefois des complots découverts, arrachant le masque à des traîtres démasqués et même décapités, mais prônant les traîtres vivants et encore accrédités; toujours empressé à caresser l'opinion du moment, et non moins attentif à ne jamais l'éclairer, et surtout à ne jamais la heurter; toujours prêt à adopter les mesures hardies, pourvu qu'elles aient beaucoup d'inconvénients; calomniant celles qui ne présentent que des avantages, ou bien y ajoutant tous les amendements qui peuvent les rendre nuisibles; disant la vérité avec économie, et tout autant qu'il le faut pour acquérir le droit de mentir impunément; distillant le bien goutte à goutte, et versant le mal par torrents; plein de feu pour les grandes résolutions qui ne signifient rien; plus qu'indifférent pour celles qui peuvent honorer la cause du peuple et sauver la patrie; donnant beaucoup aux formes du patriotisme; très attaché, comme les dévots dont il se déclare l'ennemi, aux pratiques extérieures, il aimerait mieux user cent bonnets rouges que de faire une bonne action.

Quelle différence trouvez-vous entre ces gens-là et vos modérés? Ce sont des serviteurs employés par le même maître, ou, si vous voulez, des complices qui feignent de se brouiller pour mieux cacher leurs crimes. Jugez-les, non par la différence du langage, mais par l'identité des résultats. Celui qui attaque la Convention nationale par des discours insensés, et celui qui la trompe pour la compromettre, ne sont-ils pas d'accord? Celui qui, par d'injustes rigueurs, force le patriotisme à trembler pour lui-même, invoque l'amnistie en faveur de l'aristocratie et de la trahison. Tel appelait la France à la conquête du monde, qui n'avait d'autre but que d'appeler les tyrans à la conquête de la France. L'étranger hypocrite qui, depuis cinq années, proclame Paris la capitale du globe, ne faisait que traduire, dans un autre jargon, les anathèmes des vils fédéralistes qui vouaient Paris à la destruction. Prêcher l'athéisme n'est qu'une manière d'absoudre la superstition et d'accuser la philosophie; et la guerre déclarée à la divinité n'est qu'une diversion en faveur de la royauté.

Quelle autre méthode reste-t-il de combattre la liberté?

Ira-t-on, à l'exemple des premiers champions de l'aristocratie, vanter les douceurs de la servitude et les bienfaits de la monarchie, le génie surnaturel et les vertus incomparables des rois?

Ira-t-on proclamer la vanité des droits de l'homme et des principes de la justice éternelle?

Ira-t-on exhumer la noblesse et le clergé, ou réclamer les droits imprescriptibles de la haute bourgeoisie à leur double succession?

Non. Il est bien plus commode de prendre le masque du patriotisme pour défigurer, par d'insolentes parodies, le drame sublime de la révolution, pour compromettre la cause de la liberté par une modération hypocrite ou par des extravagances étudiées.

Aussi l'aristocratie se constitue en sociétés populaires; l'orgueil contre-révolutionnaire cache sous des haillons ses complots et ses poignards; le fanatisme brise ses propres autels; le royalisme chante les victoires de la République; la noblesse, accablée de souvenirs, embrasse tendrement l'égalité pour l'étouffer; la tyrannie, teinte du sang des défenseurs de la liberté, répand des fleurs sur leur tombeau. Si tous les coeurs ne sont pas changés, combien de visages sont masqués! combien de traîtres ne se mêlent de nos affaires que pour les ruiner!

Voulez-vous les mettre à l'épreuve? Demandez-leur, au lieu de serment et de déclamation, des services réels.

Faut-il agir? Ils pérorent. Faut-il délibérer? Ils veulent commencer par agir. Les temps sont-ils paisibles? Ils s'opposeront à tout changement utile. Sont-ils orageux? Ils parleront de tout réformer, pour bouleverser tout. Voulez-vous contenir les séditieux? Ils vous rappellent la clémence de César. Voulez-vous arracher les patriotes à la persécution? Ils vous proposent pour modèle la fermeté de Brutus. Ils découvrent qu'un tel a été noble, lorsqu'il sert la République; ils ne s'en souviennent plus dès qu'il la trahit. La paix est-elle utile? Ils vous étalent les palmes de la victoire. La guerre est-elle nécessaire? Ils vantent les douceurs de la paix. Faut-il défendre le territoire? Ils veulent aller châtier les tyrans au delà des monts et des mers. Faut-il reprendre nos forteresses? Ils veulent prendre d'assaut les églises et escalader le ciel. Ils oublient les Autrichiens pour faire la guerre aux dévotes. Faut-il appuyer notre cause de la fidélité de nos alliés? Ils déclament contre tous les gouvernements du monde, et vous proposeront de mettre en état d'accusation le grand Mogol lui-même. Le peuple va-t-il au Capitole rendre grâces aux dieux de ses victoires? Ils entonnent des chants lugubres sur nos revers passés. S'agit-il d'en remporter de nouvelles? Ils sèment, au milieu de nous, les haines, les divisions, les persécutions et le découragement. Faut-il réaliser la souveraineté du peuple et concentrer sa force par un gouvernement ferme et respecté? Ils trouvent que les principes du gouvernement blessent la souveraineté du peuple. Faut-il réclamer les droits du peuple opprimé par le gouvernement? Ils ne parlent que du respect pour les lois et de l'obéissance due aux autorités constituées.

Ils ont trouvé un expédient admirable pour seconder les efforts du gouvernement républicain: c'est de le désorganiser, de le dégrader complètement, de faire la guerre aux patriotes qui ont concouru à nos succès.

Cherchez-vous les moyens d'approvisionner vos armées? vous occupez-vous d'arracher à l'avarice et à la peur les subsistances qu'elles resserrent? Ils gémissent patriotiquement sur la misère publique et annoncent la famine. Le désir de prévenir le mal est toujours pour eux un motif de l'augmenter. Dans le Nord, on a tué les poules, et on nous a privé des oeufs, sous le prétexte que les poules mangent du grain. Dans le Midi, il a été question de détruire les mûriers et les orangers, sous le prétexte que la soie est un objet de luxe, et les oranges une superfluité.

Vous ne pourriez jamais imaginer certains excès commis par des contre-révolutionnaires hypocrites pour flétrir la cause de la Révolution. Croiriez-vous que dans les pays où la superstition a exercé le plus d'empire, non contents de surcharger les opérations relatives au culte de toutes les formes qui pouvaient les rendre odieuses, on a répandu la terreur parmi le peuple, en semant le bruit qu'on allait tuer tous les enfants au-dessous de dix ans et tous les vieillards au-dessus de soixante-dix ans? que ce bruit a été répandu particulièrement dans la ci-devant Bretagne, et dans les départements du Rhin et de la Moselle? C'est un des crimes imputés au ci-devant accusateur public du tribunal criminel de Strasbourg*. [* Schneider.] Les folies tyranniques de cet homme rendent vraisemblable tout ce que l'on raconte de Caligula et d'Héliogabale; mais on ne peut y ajouter foi, même à la vue des preuves. Il poussait le délire jusqu'à mettre les femmes en réquisition pour son usage: on assure même qu'il a employé cette méthode pour se marier. D'où est sorti tout à coup cet essaim d'étrangers, de prêtres, de nobles, d'intrigants de toute espèce, qui au même instant s'est répandu sur la surface de la République, pour exécuter, au nom de la philosophie, un plan de contre-révolution qui n'a pu être arrêté que par la force de la raison publique? Exécrable conception, digne du génie des cours étrangères liguées contre la liberté, et de la corruption de tous les ennemis intérieurs de la République!

C'est ainsi qu'aux miracles continuels, opérés par la vertu d'un grand peuple, l'intrigue mêle toujours la bassesse de ses trames criminelles, bassesse commandée par les tyrans, et dont ils font ensuite la matière de leurs ridicules manifestes, pour retenir les peuples ignorants dans la fange de l'opprobre et dans les chaînes de la servitude.

Eh! que font à la liberté les forfaits de ses ennemis? Le soleil, voilé par un nuage passager, en est-il moins l'astre qui anime la nature? L'écume impure que l'Océan repousse sur ses rivages le rend-elle moins imposant?

Dans des mains perfides tous les remèdes à nos maux deviennent des poisons; tout ce que vous pouvez faire, tout ce que vous pouvez dire, ils le tourneront contre vous, même les vérités que nous venons de développer.

Ainsi, par exemple, après avoir disséminé partout les germes de la guerre civile, par l'attaque violente contre les préjugés religieux, ils chercheront à armer le fanatisme et l'aristocratie des mesures mêmes que la saine politique vous a prescrites en faveur de la liberté des cultes. Si vous aviez laissé un libre cours à la conspiration, elle aurait produit, tôt ou tard, une réaction terrible et universelle; si vous l'arrêtez, ils chercheront encore à en tirer parti, en persuadant que vous. protégez les prêtres et les modérés.

Il ne faudra pas même vous étonner si les auteurs de ce système sont les prêtres qui auront le plus hardiment confessé leur charlatanisme.

Si les patriotes, emportés par un zèle pur, mais irréfléchi, ont été quelque part les dupes de leurs intrigues, ils rejetteront tout le blâme sur les patriotes; car le premier point de leur doctrine machiavélique est de perdre la République, en perdant les républicains, comme on subjugue un pays en détruisant l'armée qui le défend. On peut apprécier par là un de leurs principes favoris, qui est qu'il faut compter pour rien les hommes; maxime d'origine royale, qui veut dire qu'il faut leur abandonner tous les amis de la liberté.

Il est à remarquer que la destinée des hommes qui ne cherchent que le bien public est d'être les victimes de ceux qui se cherchent eux-mêmes, ce qui vient de deux causes: la première, que les intrigants attaquent avec les vices de l'ancien régime; la seconde, que les patriotes ne se défendent qu'avec les vertus du nouveau.

Une telle situation intérieure doit vous paraître digne de toute votre attention, surtout si vous réfléchissez que vous avez en même temps les tyrans de l'Europe à combattre, douze cent mille hommes sous les armes à entretenir, et que le gouvernement est obligé de réparer continuellement, à force d'énergie et de vigilance, tous les maux que la multitude innombrable de nos ennemis nous a préparés pendant le cours de cinq ans.

Quel est le remède de tous ces maux? Nous n'en connaissons point d'autre que le développement de ce ressort général de la république, la vertu.

La démocratie périt par deux excès, l'aristocratie de ceux qui gouvernent, ou le mépris du peuple pour les autorités qu'il a lui-même établies, mépris qui fait que chaque coterie, que chaque individu attire à lui la puissance publique, et ramène le peuple, par l'excès du désordre, à l'anéantissement, ou au pouvoir d'un seul.

La double tâche des modérés et des faux révolutionnaires est de nous ballotter perpétuellement entre ces deux écueils.

Mais les représentants du peuple peuvent les éviter tous deux; car le gouvernement est toujours le maître d'être juste et sage; et, quand il a ce caractère, il est sûr de la confiance du peuple.

Il est bien vrai que le but de tous nos ennemis est de dissoudre la Convention; il est vrai que le tyran de la Grande-Bretagne et ses alliés promettent à leur parlement et à leurs sujets de vous ôter votre énergie et la confiance publique qu'elle vous a méritée; que c'est là la première instruction de tous leurs commissaires.

Mais c'est une vérité qui doit être regardée comme triviale en politique, qu'un grand corps investi de la confiance d'un grand peuple ne peut se perdre que par lui-même; vos ennemis ne l'ignorent pas, ainsi vous ne doutez pas qu'ils s'appliquent surtout à réveiller au milieu de vous toutes les passions qui peuvent seconder leurs sinistres desseins.

Que peuvent-ils contre la représentation nationale, s'ils ne parviennent à lui surprendre des actes impolitiques qui puissent fournir des prétextes à leurs criminelles déclamations? Ils doivent donc désirer nécessairement d'avoir deux espèces d'agents, les uns qui chercheront à la dégrader par leurs discours, les autres, dans son sein même, qui s'efforceront de la tromper, pour compromettre sa gloire et les intérêts de la république.

Pour l'attaquer avec succès, il était utile de commencer la guerre civile contre les représentants dans les départements qui avaient justifié votre confiance, et contre le Comité de salut public; aussi ont-ils été attaqués par des hommes qui semblaient se combattre entre eux.

Que pouvaient-ils faire de mieux que de paralyser le gouvernement de la Convention, et d'en briser tous les ressorts, dans le moment qui doit décider du sort de la république et des tyrans?

Loin de nous l'idée qu'il existe encore au milieu de nous un seul homme assez lâche pour vouloir servir la cause des tyrans! mais plus loin de nous encore le crime, qui ne nous serait point pardonné, de tromper la Convention nationale, et de trahir le peuple français par un coupable silence! Car il y a cela d'heureux pour un peuple libre, que la vérité, qui est le fléau des despotes, est toujours sa force et son salut. Or, il est vrai qu'il existe encore pour notre liberté un danger, le seul danger sérieux peut-être qui lui reste à courir: ce danger est un plan, qui a existé, de rallier tous les ennemis de la République, en ressuscitant l'esprit de parti; de persécuter les patriotes, de décourager, de perdre les agents fidèles du gouvernement républicain, de faire manquer les parties les plus essentielles du service public. On a voulu tromper la Convention sur les hommes et sur les choses; on a voulu lui donner le change sur les causes des abus qu'on exagère, afin de les rendre irrémédiables; on s'est étudié à la remplir de fausses terreurs, pour l'égarer ou pour la paralyser; on cherche à la diviser; on a cherché à diviser surtout les représentants envoyés dans les départements, et le Comité de salut public; on a voulu induire les premiers à contrarier les mesures de l'autorité centrale, pour amener le désordre et la confusion; on a voulu les aigrir à leur retour, pour les rendre, à leur insu, les instruments d'une cabale. Les étrangers mettent à profit toutes les passions particulières, et jusqu'au patriotisme abusé.

On avait d'abord pris le parti d'aller droit au but, en calomniant le Comité de salut public; on se flattait alors hautement qu'il succomberait sous le poids de ses pénibles fonctions. La victoire et la fortune du peuple français l'ont défendu. Depuis cette époque, on a pris le parti de le louer en le paralysant et en détruisant le fruit de ses travaux. Toutes ces déclamations vagues contre des agents nécessaires du Comité; tous les projets de désorganisation, déguisés sous le nom de réformes, déjà rejetés par la Convention, et reproduits aujourd'hui avec une affectation étrange; cet empressement à prôner des intrigants que le Comité de salut public a dû éloigner; cette terreur inspirée aux bons citoyens; cette indulgence dont on flatte les conspirateurs; tout ce système d'imposture et d'intrigue, dont le principal auteur est un homme que vous avez repoussé de votre sein, est dirigé contre la Convention nationale, et tend à réaliser les voeux de tous les ennemis de la France.

C'est depuis l'époque où ce système a été annoncé dans des libelles, et réalisé par des actes publics, que l'aristocratie et le royalisme ont commencé à relever une tête insolente, que le patriotisme a été de nouveau persécuté dans une partie de la République, que l'autorité nationale a éprouvé une résistance dont les intrigants commençaient à perdre l'habitude. Au reste, ces attaques indirectes n'eussent-elles d'autre inconvénient que de partager l'attention et l'énergie de ceux qui ont à porter le fardeau immense dont vous les avez chargés, et de les distraire trop souvent des grandes mesures de salut public, pour s'occuper de déjouer des intrigues dangereuses; elles pourraient encore être considérées comme une diversion utile à nos ennemis.

Mais rassurons-nous; c'est ici le sanctuaire de la vérité; c'est ici que résident les fondateurs de la République, les vengeurs de l'humanité et les destructeurs des tyrans.

Ici, pour détruire un abus, il suffit de l'indiquer. Il nous suffit d'appeler, au nom de la patrie, des conseils de l'amour-propre ou de la faiblesse des individus, à la vertu et à la gloire de la Convention nationale.

Nous provoquons, sur tous les objets de ses inquiétudes, et sur tout ce qui peut influer sur la marche de la révolution, une discussion solennelle; nous la conjurons de ne pas permettre qu'aucun intérêt particulier et caché puisse usurper ici l'ascendant de la volonté générale de l'assemblée et la puissance indestructible de la raison.

Nous nous bornerons aujourd'hui à vous proposer de consacrer par votre approbation formelle les vérités morales et politiques sur lesquelles doit être fondée votre administration intérieure et la stabilité de la République, comme vous avez déjà consacré les principes de votre conduite envers les peuples étrangers: par là vous rallierez tous les bons citoyens, vous ôterez l'espérance aux conspirateurs; vous assurerez votre marche, et vous confondrez les intrigues et les calomnies des rois; vous honorerez votre cause et votre caractère aux yeux de tous les peuples.

Donnez au peuple français ce nouveau gage de votre zèle pour protéger le patriotisme, de votre justice inflexible pour les coupables, et de votre dévouement à la cause du peuple. Ordonnez que les principes de morale politique que nous venons de développer seront proclamés, en votre nom, au dedans et au dehors de la République. 

 

 On the Moral and Political Principles of Domestic Policy
Maximilien Robespierre

 
We set forth, some time ago, the principles of our foreign policy. We came today to
develop the principles of our domestic policy.
After operating for a long time at random and as if impelled by the movement of factions
opposing one another, the representatives of the French people have finally shown a
character and a government. A sudden change in the Nation's fortune told Europe that
there had been a regeneration among the national representatives. But, up to the very
moment when I am speaking, it must be agreed, we have been guided, in such stormy
circumstances, by love of the good and by awareness of our country's needs rather than
by a correct theory and precise rules of conduct, which we did not even have time to
sketch.
It is time to mark clearly the aim of the revolution and the end we want to reach; it is time
to take account of the obstacles which still separate us from it and of the means that we
ought to adopt to attain it: a simple and important idea which seems never to have been
noticed. Well, how could a weak and corrupt government have dared to implement it? A
king, a proud senate, a Caesar, a Cromwell, must first of all cover their plans with a
religious veil, compromise with all the vices, caress all the parties, crush the party of the
good men, oppress or deceive the people, to attain the aim of their perfidious ambition. If
we had not had a greater task to perform, if nothing were involved but interests of a
faction or of a new aristocracy, we could have believed, like certain writers even more
ignorant than they are perverse, that the plan of the French revolution was plainly written
in the books of Tacitus and Machiavelli, and we could have looked for the duties of the
people's representatives in the history of Augustus, Tiberius, or Vespasian, or even in that
of certain French legislators; for, except for a few nuances of perfidy or cruelty, all
tyrants are alike.
For our part, we come today to reveal to the whole world your political secrets, in order
that all the friends of our country can rally to the voice of reason and the public interest;
in order that the French nation and its representatives may be respected in all the
countries where the knowledge of their real principles can be obtained; in order that the
intriguers who are always to replace other intriguers may be judged by easy and certain
rules.
Farsighted precautions are needed to make liberty's destiny depend on the truth, which is
eternal, more than on men, who are ephemeral, so that if the government forgets the
people's interests or if it falls back into the hands of corrupt men, in accordance with the
natural course of things, the light of recognized principles will make clear its betrayals,
and so that every new faction will meet death in the mere thought of crime.
Robespierre: On the Moral and Political Principles of Domestic Policy M-2
Happy the people who can reach that point! For, whatever new outrages are prepared
against it, what resources are presented by an order of things in which the public reason is
the guarantee of liberty!
What is the end toward which we are aiming? The peaceable enjoyment of liberty and
equity; the reign of that eternal justice whose laws have been graven not on marble and
stone but in the hearts of all men, even the slave who forgets them and the tyrant who
denies them. (Applause)....
We want to substitute, in our land, morality for egotism; probity for honor; principles for
customs; ethics for propriety; the rule of reason for the tyranny of fashion; disdain for
vice for disdain for misfortune; self-respect for insolence; spiritual grandeur for vanity;
love of glory for love of money; good men for good society; merit for intrigue; genius for
wit; truth for brilliance; the charm of happiness for the boredom of sensual pleasure;
human greatness for the pettiness of the great; a magnanimous, powerful, happy people
for an easy, frivolous, and miserable people: that is, all the virtues and all the miracles of
the republic for all the vices and all the absurdities of the monarchy. (Applause)....
What is the nature of the government that can effect these prodigies? Only that
government which is democratic or republican: these two words are synonyms, despite
the abuses of common diction; for aristocracy is no more republican than is monarchy.
Democracy is not a state in which the whole people, continually assembled, itself rules on
all public business, still less is it one in which a hundred thousand factions of the people
decide, by unrelated, hasty, and contradictory measures, on the fate of the entire society;
such a government has never existed, and it could exist only to lead the people back to
despotism.
Democracy is a state in which the sovereign people, guided by laws which are its own
work, itself does all it can do well, and through delegates all it cannot do itself.
It is, then, in the principles of democratic government that you must look for the rules of
your political conduct.
But, to found and consolidate democracy, to achieve the peaceable reign of the
constitutional laws, we must end the war of liberty against tyranny and pass safely across
the storms of the revolution: such is the aim of the revolutionary system that you have
enacted. Your conduct, then, ought also to be regulated by the stormy circumstances in
which the republic is placed; and the plan of your administration must result from the
spirit of the revolutionary government combined with the general principles of
democracy.
Now, what is the fundamental principle of the democratic or popular government -- that
is, the essential spring which makes it move? It is virtue; I am speaking of the public
virtue which effected so many prodigies in Greece and Rome and which ought to produce
much more surprising ones in republican France; of that virtue which is nothing other
then the love of country and of its laws.
Robespierre: On the Moral and Political Principles of Domestic Policy M-3
But as the essence of the republic or of democracy is equality, it follows that the love of
country necessarily includes the love of equality.
It is also true that this sublime sentiment assumes a preference for the public interest over
every particular interest; hence the love of country presupposes or produces all the
virtues: for what are they other than that spiritual strength which renders one capable of
those sacrifices? And how could the slave of avarice or ambition, for example, sacrifice
his idol to his country?
Not only is virtue the soul of democracy; it can exist only in that government. . .
Only in democracy is the state really the patrie of all the individuals who compose it and
can it count as many interested defenders of its cause as it has citizens. That is the source
of the superiority of free peoples over all others. If Athens and Sparta triumphed over the
tyrants of Asia, and the Swiss over the tyrants of Spain and Austria, we need not look for
any other cause.
But the French are the first people of the world who have established real democracy, by
calling all men to equality and to the full rights of the citizen; and there, in my opinion, is
the real reason why all the tyrants in league against the Republic will be vanquished.
There are great consequences to be drawn immediately from the principles that we have
just set forth.
Since the soul of the Republic is virtue, equality, and since your aim is to found, to
consolidate the Republic, it follows that the first rule of your political conduct must be to
relate all your operations to the maintenance of equality and the development of virtue;
for the first care of the legislator ought to be to fortify the principle of the government.
Thus all that tends to stir the love of country, to purify morals and customs, to elevate
souls, to direct the passions of the human heart toward the public interest, ought to be
adopted or established by you. All that tends to concentrate them in the abjection of the
personal self, to reawaken the infatuation for petty things and disdain for great things,
ought to be rejected or suppressed. In the system of the French revolution, what is
immoral is impolitic, what is corruptive is counter-revolutionary. Weakness, vice,
prejudice are the road to royalty. Drawn along too often, perhaps by the weight of our old
usages, as well as by the imperceptible tendency of human weakness, toward false ideas
and pusillanimous feelings, we have to guard against excessive energy much less than
against excessive weakness. Perhaps the greatest peril we have to avoid is not being
fervent from zeal, but rather becoming tired of the good and intimidated by our own
courage. So, turn ever tighter the spring of republican government, instead of letting it
run down. I have no need to say here that I do not want to justify any excess. The most
sacred principles are abused; it is for the government's wisdom to consider circumstances,
to seize the right moment, to choose the method; to prepare great things is an essential
part of doing them, as wisdom itself is part of virtue.
Robespierre: On the Moral and Political Principles of Domestic Policy M-4
We do not claim to cast the French republic in the Spartan mold; we want neither the
austerity nor the corruption of a cloister. What we have just presented to you, in all its
purity, is the moral and political principle of popular government. You have a compass
by which you can test all laws, all proposals, suggested to you. By ceaselessly comparing
them with that principle, you can henceforward avoid the usual peril of great assemblies,
the danger of being surprised and of hasty, incoherent, and contradictory measures. You
can give all your operations the cohesion, unity, wisdom, and dignity that ought to
distinguish the representatives of the first people of the world.
It is not the obvious consequences of the principle of democracy that need to be presented
in detail; it is rather the simple and fertile principle itself that deserves to be expounded.
Republican virtue can be considered in relation to the people and in relation to the
government; it is necessary in both. When only the government lacks virtue, there
remains a resource in the people's virtue; but when the people itself is corrupted, liberty is
already lost.
Fortunately virtue is natural to the people, notwithstanding aristocratic prejudices. A
nation is truly corrupted when, having by degrees lost its character and its liberty, it
passes from democracy to aristocracy or to monarchy, that is the decrepitude and death of
the body politic....
But when, by prodigious efforts of courage and reason, a people breaks the chains of
despotism to make them into trophies of liberty; when by the force of its moral
temperament it comes, as it were, out of the arms of death, to recapture all the vigor of
youth; when by turns it is sensitive and proud, intrepid and docile, and can be stopped
neither by impregnable ramparts nor by the innumerable armies of the tyrants against it,
but stops of itself upon confronting the law's image; then if it does not climb rapidly to
the summit of its destinies, this can only be the fault of those who govern it.
Besides, in a sense, one can say that to love justice and equality, the people does not need
great virtue; it has only to love itself.
But the magistrate is obliged to sacrifice his interest to the people's interest, and his pride,
derived from power, to equality. The law must speak imperiously above all to him who is
its voice. The government must weigh heavily on all its parts, to hold them in harmony. If
there exists a representative body, a primary authority constituted by the people, it must
exercise ceaseless surveillance and control over all the public functionaries. But what will
control it, if not its own virtue? The higher the source of public order is placed, the purer
it ought to be; the representative body, then, must begin in its own midst by subduing all
private passions to the general passion for the public zeal. Fortunate are the
representatives, when their glory and their interest itself, as much as their duties, attach
them to the cause of liberty!
From all this let us deduce a great truth: the characteristic of popular government is
confidence in the people and severity towards itself.
Robespierre: On the Moral and Political Principles of Domestic Policy M-5
The whole development of our theory would end here if you had only to pilot the vessel
of the Republic through calm waters; but the tempest roars, and the revolution imposes
on you another task.
This great purity of the French revolution's basis, the very sublimity of its objective, is
precisely what causes both our strength and our weakness. Our strength, because it gives
to us truth's ascendancy over imposture, and the rights of the public interest over private
interests; our weakness, because it rallies all vicious men against us, all those who in their
hearts contemplated despoiling the people and all those who intend to let it be despoiled
with impunity, both those who have rejected freedom as a personal calamity and those
who have embraced the revolution as a career and the Republic as prey. Hence the
defection of so many ambitious or greedy men who since the point of departure have
abandoned us along the way because they did not begin the journey with the same
destination in view. The two opposing spirits that have been represented in a struggle to
rule nature might be said to be fighting in this great period of human history to fix
irrevocably the world's destinies, and France is the scene of this fearful combat. Without,
all the tyrants encircle you; within, all tyranny's friends conspire; they will conspire until
hope is wrested from crime. We must smother the internal and external enemies of the
Republic or perish with it; now in this situation, the first maxim of your policy ought to
be to lead the people by reason and the people's enemies by terror.
If the spring of popular government in time of peace is virtue, the springs of popular
government in revolution are at once virtue and terror: virtue, without which terror is
fatal; terror, without which virtue is powerless. Terror is nothing other than justice,
prompt, severe, inflexible; it is therefore an emanation of virtue; it is not so much a
special principle as it is a consequence of the general principle of democracy applied to
our country's most urgent needs.
It has been said that terror is the principle of despotic government. Does your government
therefore resemble despotism? Yes, as the sword that gleams in the hands of the heroes of
liberty resembles that with which the henchmen of tyranny are armed. Let the despot
govern by terror his brutalized subjects; he is right, as a despot. Subdue by terror the
enemies of liberty, and you will be right, as founders of the Republic. The government of
the revolution is liberty's despotism against tyranny. Is force made only to protect crime?
And is the thunderbolt not destined to strike the heads of the proud?
Nature imposes on every physical and moral being the law of striving for its own
preservation: to reign, crime slaughters innocence; and in crime's hands, innocence resists
with all its might. . . .
And yet one or the other must succumb. Indulgence for the royalists, cry certain men,
mercy for the villains! No! Mercy for the innocent, mercy for the weak, mercy for the
weak, mercy for humanity.
Society owes protection only to peaceable citizens; the only citizens in the Republic are
the republicans. For it, the royalists, the conspirators are null strangers or, rather,
Robespierre: On the Moral and Political Principles of Domestic Policy M-6
enemies. This terrible war waged by liberty against tyranny -- is it not indivisible? Are
the enemies within not the allies of the enemies without? The assassins who tear our
country apart, the intriguers who buy the consciences that hold the people's mandate; the
traitors who sell them; the mercenary pamphleteers hired to dishonor the people's cause,
to kill public virtue, to stir up the fire of civil discord, and to prepare political counter-
revolution -- are all those men less guilty or less dangerous than the tyrants whom they
serve? All who interpose their treasonous gentleness between those villains and the
avenging sword of national justice resemble those who would throw themselves between
the tyrants' henchmen and our soldiers' bayonets; all the impulses of their false sensitivity
appear to me only sighs of longing for England and Austria....
With what good humor are we still duped by words! How aristocracy and moderatism
still govern us through the murderous maxims they gave us!
Aristocracy defends itself better by intrigue than patriotism does by service. We try to
control revolutions with the quibbles of the courtroom; we treat conspiracies against the
Republic like lawsuits between individuals. Tyranny kills, and liberty argues; and the
code made by the conspirators themselves is the law by which we judge them.
Though it involves our country's safety, general report cannot be substituted for the
evidence of testimony, nor obviousness itself for literal proof.
Justice delayed means immunity from punishment; possible impunity encourages all the
guilty; and yet there are complaints against the severity of justice; there are complaints
against the imprisonment of enemies of the Republic. Examples are sought in the
histories of tyrants, because those who complain do not want to choose them in the
histories of peoples, nor derive them from the natural tendency of liberty threatened....
It is clemency to mankind to punish its oppressors; it is barbarism to pardon them.
Tyrants' rigor has no principle but rigor; the republican government's rigor begins in
charity....
What frivolity it would be to regard a few victories won by patriotism as the end of all
our dangers. Glance at our real situation. You will be aware that you need vigilance and
energy more than ever. Sullen ill-will everywhere acts contrary to the government's
operations. The fatal influence of the foreign, while it is more effectively hidden, is
thereby neither less active nor less deadly. Crime, intimidated, has done nothing but
cover its operations more adroitly.
The internal enemies of the French people are divided into two factions like two army
corps. They march under banners of different colors and by separate routes; but they are
marching to the same destination: their purpose is the disorganization of popular
government, the ruin of the Convention -- that is, the triumph of tyranny. One of these
two factions urges us to commit excesses; the other to be weak. One wants to change
liberty into drunken frenzy, the other into prostitution.
Robespierre: On the Moral and Political Principles of Domestic Policy M-7
One faction has been called the moderates, the other has been designated -- more cleverly
perhaps than precisely -- as the ultra-revolutionaries. This denomination can in no case be
applied to the men of good faith who may be carried away by zeal and ignorance to
actions beyond the sound policy of the revolution and it does not characterize accurately
the perfidious men whom tyranny hires to practice false and deadly applications that
compromise the sacred principles of our revolution.
The false revolutionary is deficient more often than excessive in (his response to) the
revolution. He is moderate or insanely patriotic, according to the circumstances. What he
will think tomorrow is decided for him today by committees of Prussians, English,
Austrians, even Muscovites. He opposes energetic measures and exaggerates them when
he has been unable to block them. He is severe toward innocence but indulgent toward
crime, accusing even the guilty who are not rich enough to purchase his silence nor
important enough to merit his zeal, but carefully refraining from ever compromising
himself to the point of defending virtue that has been slandered; now and then
discovering plots that have already been discovered, ripping the masks off traitors who
are already unmasked and even decapitated but extolling traitors who are living and still
influential; always eager to embrace the opinion of the moment and as alert never to
enlighten it, and above all never to clash with it; always ready to adopt bold measures
provided they have many drawbacks; falsely attacking the measures that have only
advantages, or adding all the amendments that can render them harmful; speaking the
truth sparingly but as much as he must in order to acquire the right to lie with impunity;
giving forth driblets of good and torrents of evil; full of fire for great resolutions which
signify nothing; worse than indifferent to those which can honor the people's cause and
save our country; giving much attention to the forms of patriotism; very much attached,
like the devout whose enemy he declares himself to be, to formal observances, he would
prefer to wear out a hundred red caps than to accomplish one good deed. (Applause) . . .
Do you want to put (such men) to the test? Ask them, not for oaths and declamations, but
for real services.
Is action needed? They orate. Is deliberation required? They want to begin with action.
Are the times peaceful? They will oppose every useful change. Are the times stormy?
They will speak of reforming everything, in order to throw everything into confusion. Do
you want to keep sedition in check? They remind you of Caesar's clemency. Do you want
to deliver patriots from persecution? They propose to you as a model the firmness of
Brutus. They discover that so-and-so was a noble when he is serving the Republic; they
no longer remember this as soon as he betrays it. Is peace advantageous? They display
the rewards of victory. Is war necessary? They praise the delights of peace. Must our
territory be defended? They want to go and punish the tyrants beyond the mountains and
seas. Must our forts be recaptured? They want to take the Churches by assault and scale
heaven itself. (Applause) They forget the Austrians in order to make war on the devout.
Do we need the support of faithful allies? They will declaim against all the governments
in the world and propose that you put on trial the great himself. (Applause) Do the people
go to the Capitol to give thanks to the gods for their victories? They intone lugubrious
chants over our previous reverses. Is it a matter of winning new victories? In our midst
Robespierre: On the Moral and Political Principles of Domestic Policy M-8
they sow hatreds, divisions, persecutions, and discouragement. Must we make the
sovereignty of the people a reality and concentrate its strength by a strong, respected
government? They discover that the principles of government injure popular sovereignty.
Must we call for the rights of the people oppressed by the government? They talk only of
respect for the laws and of obedience owed to the constituted authorities.
They have found an admirable expedient for promoting the efforts of the republican
government: it is to disorganize it, to degrade it completely, to make war on the patriots
who have contributed to our successes....
Thus, for example, after having disseminated everywhere the germ of civil war by a
violent attack on religious prejudices, they will seek to fortify fanaticism and aristocracy
by the very measures, in favor of freedom of religious observances, that sound policy has
prescribed to you. If you had left free play to the conspiracy, it would have produced,
sooner or later, a terrible and universal reaction but if you stop it, they will still seek to
turn this to their account by urging that you protect the priests and the moderates. You
must not even be surprised if the authors of this strategy are the very priests who most
boldly confess their charlatanism.
If the patriots, carried away by a pure but thoughtless zeal, have somewhere been made
the dupes of their intrigues, they will throw all the blame upon the patriots; because the
principal point of their machiavellian doctrine is to ruin the Republic by ruining the
republicans, as one conquers a country by overthrowing the army which defends it. One
can thereby appreciate one of their favorite principles, which is: men must count as
nothing -- a maxim of royal origin, which means that all the friends of liberty must be
abandoned to them.
It is to be noticed that the men who seek only the public good are to be the victims of
those who seek to advance themselves, and this comes from two causes: first, that the
intriguers attack using the vices of the old regime, second, that the patriots defend
themselves only with the virtues of the new. Such an internal situation ought to appear
worthy of all your attention, above all if you reflect that at the same time you have the
tyrants of Europe to combat, 1,200,000 men under arms to maintain; and that the
government is constantly obliged to repair, with energy and vigilance, all the evils which
the innumerable multitude of our enemies has prepared for us during the course of five
years.
What is the remedy for all these evils? We know no other than the extension of that
mainspring of the Republic: virtue.
Democracy perishes by two kinds of excess: the aristocracy of those who govern or the
people's scorn for the authorities whom the people itself has established, scorn which
makes each clique, each individual take over the public power and lead the people,
through excessive disorders, to its destruction or to the power of one man.
Robespierre: On the Moral and Political Principles of Domestic Policy M-9
The double effort of the moderates and the false revolutionaries is to drive us back and
forth perpetually between these two perils.
But the people's representatives can avoid them both, because government is always able
to be just and wise; and when it has that character, it is sure of the confidence of the
people....
It is a truth which ought to be regarded as commonplace in politics that a great body
invested with the confidence of a great people can be lost only through its own failings.
Your enemies know this; therefore you can be sure that they are applying themselves
above all to reawaken in your midst all the passions which can further their sinister
designs.
What can they do against the national representation if they do not succeed in beguiling it
into politic acts which can supply pretexts for their criminal declamations? They are
therefore necessarily obliged to obtain two kinds of agents, those who will seek to
degrade it by their speeches and those, in its very midst, who will do their utmost to
deceive it in order to compromise its glory and the interests of the Republic....
Far from us is the idea that there still exists in our midst a single man weakling enough to
intend to serve the tyrants' cause! But farther from us still is the crime, for which we
would not be pardoned, of deceiving the National Convention and betraying the French
people by a culpable silence. For it is the good fortune of a free people that truth, which is
the scourge of despots, is always its strength and salvation. Now it is true that there still
exists a danger for our liberty, perhaps the only serious danger which remains for it to
confront. That danger is a plan which has existed for rallying all the enemies of the
Republic by reviving party spirit; for persecuting the patriots, defeating and disheartening
the faithful agents of the republican government, rendering inadequate the most essential
parts of public service. They have intended to deceive the Convention about men about
conditions; they have sought to put it on the wrong track about the causes of abuses,
which they have exaggerated so as to make them irremediable; they have studiously filled
it with false terrors, in order to lead it astray or paralyze it; they seek to divide it above all
to create division between the representatives sent out to the departments and the
Committee of Public Safety. They have sought to influence those representatives to
contradict the measures of the central authority, in order to make them the instruments of
a cabal. The foreigners turn to their profit all private passions, even abused patriotism.
They first adopted the plan of going straight to their goal, by slandering the Committee of
Public Safety; they flattered themselves aloud that it would succumb under the weight of
its laborious duties. Victory and the good fortune of the French people defended it. Since
that time they have adopted the plan of praising it while paralyzing it and destroying the
results of its work. All those vague declamations against necessary agents of the
Committee; all the proposals for disorganization, disguised under the name of reforms,
already rejected by the Convention and reproduced today with a strange artificiality; that
eagerness to extol the intriguers whom the committee of Public Safety was obliged to
remove; that terror inspired in good citizens; that indulgence with which conspirators are
Robespierre: On the Moral and Political Principles of Domestic Policy M-10
favored; a man whom you have driven from your midst, is directed against the National
Convention and tends to give effect to the resolutions of all the enemies of France.
It is since the time when this system was put forward in pamphlets and given effect in
public acts that aristocracy and royalism have again begun to raise their insolent heads,
that patriotism has again been persecuted in a part of the Republic, that the national
authority has encountered a resistance which the intriguers had begun to abandon. If these
indirect attacks had served only to divide the attention and energy of those who have to
carry the immense burden that you have assigned them and distract them too often from
the great measures for the public salvation in order to occupy themselves with thwarting
dangerous intrigues; even so, they could be considered as a diversion useful to our
enemies.
But let us be reassured, it is here that the truth has its sanctuary; it is here that the
founders of the Republic reside, the avengers of humanity, and the destroyers of tyrants.
(Applause)
Here, to destroy an abuse it suffices to point it out. It suffices for us to appeal, in the
name of our country, from counsels of self-love or from the weaknesses of individuals, to
the virtue and the glory of the National Convention.
We call for a solemn debate upon all the subjects of its anxiety and upon everything that
can influence the progress of the revolution. We adjure it not to permit any hidden
particular interest to use ascendancy here over the general will of the assembly and
indestructible power of reason.
We will limit ourselves today to proposing that by your formal approval you sanction the
moral and political truths upon which your internal administration and the stability of the
Republic ought to be founded, as you have already sanctioned the principles of your
conduct toward foreign peoples. Thereby you will rally all good citizens, you will take
hope away from the conspirators, you will assure your progress and confound the kings'
intrigues and slanders, you will honor your cause and your character in the eyes of all
people.
Give the French people this new gage of your zeal to protect patriotism, of your inflexible
justice for the guilty, and of your devotion to the people's cause. Order that the moral and
political principles which we have just expounded will be proclaimed, in your name,
within and without the Republic. (Applause)

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